Le fil conducteur entre les “réformes” 2009 et 2019 avec celle de Macron en 2022, c’est toujours moins d’heures d’enseignement pour les jeunes de l’enseignement professionnel sous statut scolaire pour les pousser vers une insertion professionnelle précoce.
La réforme Sarkozy-Darcos du Bac Professionnel, expérimentée en 2007 puis généralisée en 2009, réduisait la scolarité des bacheliers professionnels d’une année en causant de multiples problèmes aux élèves qui optaient pour une poursuite d’études. Interrogé par le Café pédagogique le 18 octobre 2022 sur cette réforme, le recteur Daniel Bloch n’y va pas par quatre chemins : « La réforme Darcos a surtout été celle d’E Woerth, ministre du Budget” !
Amorcée en 2018, la réforme Blanquer a suivi la même logique comptable en supprimant des centaines d’heures d’enseignement aux élèves, ainsi que le BEP, diplôme bien reconnu par les professionnels.
Le jeudi 25 août 2022, lors de la réunion de rentrée des recteurs, Emmanuel Macron a insisté sur « l’importance » de la réforme de la voie professionnelle, pointant au passage un « gâchis collectif inacceptable » quant aux taux d’insertion des titulaires de CAP et de bac pro. Doit-on alors considérer que la réforme 2019 n’a pas réussi à éviter ce « gâchis » ? La réponse est non car ce n’était pas le but : la réforme de Blanquer n’était qu’un processus de destruction de la voie pro qu’Emmanuel Macron a rendu lisible ! En plus de ce « gâchis collectif « , E Macron a considéré que la filière professionnelle devait devenir « une voie de choix, et par choix ». Soit. Mais qui l’a empêché de le faire pendant 5 ans ?
Dans la foulée, le 13 septembre 2022, le président de la République, en déplacement aux Sables-d’Olonne, a déclaré qu’il voulait augmenter la durée des stages des lycéens professionnels d’au moins 50 % en trois ans, ce qui réduirait de fait, une fois encore, les heures d’enseignement en lycées professionnels !
Le fil conducteur entre les “réformes” 2009 et 2019 avec celle de Macron en 2022, c’est toujours moins d’heures d’enseignement pour les jeunes de l’enseignement professionnel sous statut scolaire pour les pousser vers une insertion professionnelle précoce. La vision idéologique de Macron ne manque pas de clarté : de moins en moins de cours en LP au profit de plus en plus de temps passé dans en entreprises… en fonction des besoins locaux !
Deux dispositifs et un seul objectif
Plus de stages en entreprise, c’est autant de temps en moins pour l’enseignement général et professionnel. Cela va réduire considérablement la capacité d’analyse et d’autonomie des futures professionnels, limiter les poursuites d’études et générer obligatoirement des suppressions de postes d’enseignants. La boucle est bouclée.
Par ailleurs, adapter la carte des formations en fonction des besoins des entreprises locales, c’est limiter les choix des élèves et les exposer aux aléas socio-économiques de celles-ci. En même temps, l’offre de formation de l’apprentissage ne subit aucune restriction puisque le nombre de CFA a triplé depuis la mise en application de la loi du 5 septembre 2018 !
Remodeler la carte des formations en fonction des besoins locaux et augmenter le nombre de semaines de stages en entreprise ne constituent que la face visible de la réforme Macron. La conjugaison de ces deux dispositifs revient à forcer l’orientation des élèves pour satisfaire les besoins immédiats des entreprises locales. Ce n’est ni un « gâchis collectif « , ni « une voie de choix, et par choix », mais une discrimination qui ne dit pas son nom.
Une injustice sociale
Le lycée professionnel est un lieu d’encouragement, de motivation, d’émancipation. Faut-il rappeler que l’enseignement professionnel sous statut scolaire accueille une part d’élèves en grande difficulté sociale et scolaire plus grande que dans les autres filières ? Certains maîtrisent peu les bases en langues et mathématiques, d’autres sont en situation de handicap.
72 % des élèves en baccalauréat professionnel sont des enfants d’ouvriers, d’employés, d’inactifs et de retraités (DEPP 2022). Le lycée professionnel reste le moyen pour ces élèves d’espérer une meilleure insertion professionnelle voire une poursuite d’études. Déstructurer ainsi le lycée professionnel est une injustice sociale et une insulte à l’histoire de l’enseignement professionnel public !
L’ancien directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, interpelle, dans une remarquable tribune au « Monde », les décideurs, parents, et citoyens issus des classes moyennes et favorisées sur leur manque d’engagement pour l’enseignement général au lycée professionnel :
“Vous croyez sans doute que les employés des entrepôts qui mettent dans des cartons des produits fabriqués ailleurs n’ont pas besoin de penser. Les milieux populaires, dont les enfants constituent l’essentiel des effectifs scolarisés dans l’enseignement professionnel, sont coupés du monde politique, ils n’accèdent pas aux médias et ne pèsent pas sur les politiques publiques. Mais les milieux populaires ne sont pas aveugles et ils voient les injustices à l’œuvre dans notre école. Prenez garde, ceux qui comprennent que leurs enfants n’ont pas accès aux mêmes droits que vos enfants auront de plus en plus de difficultés à accepter d’avoir les mêmes devoirs que les autres. C’est notre pacte républicain que vous mettez en danger.”